L’adolescent qui a failli manipuler une langue entière sans que personne ne s’en rende compte
Quand un simple utilisateur sème le doute
Imaginez un adolescent discret, caché derrière un pseudo anodin, AG. Personne ne sait qui il est vraiment. Il n’est ni célèbre, ni expert, ni auréolé de diplômes. Et pourtant, pendant près de sept ans, il va agir dans l’ombre d’un coin reculé d’internet. Sans faire de bruit, il infiltre une version de Wikipédia un peu particulière : celle rédigée en écossais.
Cette langue est fragile, menacée, précieuse pour ses locuteurs. Sauf qu’AG, lui, ne parle pas un mot de cet idiome. Pas un seul. Mais cela ne l’arrête pas. Au contraire, il avance masqué, avec une détermination presque inquiétante.
L’obsession d’un inconnu
D’où vient cette obsession ? Pourquoi AG choisit-il une langue qui lui est totalement étrangère ? Le mystère plane. On ne sait pas grand-chose de sa vie. On l’imagine adolescent, cloîtré dans sa chambre, le regard rivé sur son écran, les mains crispées sur le clavier. Il démarre jeune, vers 12 ans dit-on, mais qu’est-ce qui le pousse à s’enfoncer dans ce projet insensé ?
Au fil des années, AG crée plus de 27 000 articles. C’est un volume monstrueux, surtout dans un Wikipédia de niche. À tel point qu’il finit par en devenir l’un des principaux administrateurs. Une figure incontournable, un pilier apparemment dévoué, fiable, qu’on imagine presque bienveillant. Sauf qu’il ne l’est pas vraiment. Il n’est pas là pour abuser, mais il n’est pas là non plus pour servir la vérité. Il avance comme un somnambule, dans un brouillard linguistique, sans se soucier du sens des mots qu’il altère.
le jeu des faux-semblants
La méthode est simple, inquiétante par sa facilité : AG copie des textes anglais, puis remplace chaque mot par un soi-disant équivalent écossais glané sur le web. Aucune cohérence, aucune logique grammaticale, aucun respect de la langue. Au lieu de préserver ou enrichir la culture, il invente un ersatz. Ce n’est pas du vandalisme au sens classique, c’est plus subtil. Un mensonge diffus, spreadé sur des milliers d’articles, une contamination lente de la connaissance.
Le plus dérangeant ? Pendant longtemps, personne ne s’en rend compte. On corrige quelques lignes par-ci par-là, on soupçonne de petites erreurs. Mais qui imaginerait qu’un seul individu tente, sans le dire, de réécrire une langue millénaire en un charabia sans queue ni tête ?
Le jour où tout s’effondre
Un beau jour, en 2020, un utilisateur du forum r/scotland finit par lever le rideau. Il dévoile l’ampleur de la supercherie. Le scandale éclate. Les médias s’en emparent, la toile s’enflamme. Comment un ado a-t-il pu manipuler ainsi un Wikipédia complet, tromper des milliers de lecteurs, semer la confusion autour d’une langue déjà fragile ?
AG ne répond presque pas, disparaît. De lui, on sait seulement qu’il a reçu une vague d’insultes, de quolibets. Certains le prennent en pitié, d’autres le traitent de saboteur culturel. Mais derrière son écran, AG reste une énigme. Qui était-il vraiment ? Un passionné maladroit ? Un troll ingénu ? Un fantôme numérique qui s’est amusé de la crédulité des internautes ?
L’héritage d’une imposture
La leçon est amère. Sans aucun diplôme, sans barrière, un individu a pu réécrire le visage en ligne d’une langue, en faire un champ de mensonges. Les bénévoles se retroussent les manches, effacent les faux articles, corrigent, réparent. Lentement, l’authenticité revient, mais l’histoire d’AG demeure un avertissement.
À ce jour, sa trace subsiste dans les mémoires. On se demande encore : qu’est-ce qui le motivait réellement ? Cherchait-il la gloire, l’attention, une forme de reconnaissance tordue ? Ou n’était-ce qu’un passe-temps étrange, une fuite dans un monde imaginaire où tout lui semblait possible ?
Quoi qu’il en soit, son ombre plane encore sur les serveurs. Un exemple dérangeant de la facilité avec laquelle un seul individu, sans compétence particulière, peut manipuler une part de notre héritage culturel. Et c’est là tout le mystère qui entoure AG : un nom, quelques lettres, une énigme, et l’idée que parfois, sur internet, la frontière entre réalité et imposture est plus fine qu’on ne l’imagine.